Frédéric Ledoeufre

Le marin pêcheur peut incarner simultanément le héros qui risque sa vie pour rapporter de quoi nourrir ses semblables, mais aussi, celui qui menace le futur de ces derniers par des pratiques destructrices de nos ressources : parfaite allégorie de l’ambivalence humaine. Par exemple lorsque H. Melville nous conte une chasse à la baleine*, il dépeint autant la folie des hommes
et leur étrange destinée qu’une simple pratique commerciale. Si le poisson devient le symbole de ce que l’on cherche dans cette vie, alors nous sommes tous des pêcheurs. Que ce poisson soit
Saint Graal ou leurre, notre quête est jalonnée des notions de subsistance, de partage, de convoitise, d’amour et de mort. Quel que soit notre but, nous naviguons tous, guidés par les phares que sont nos concepts idéologiques, poursuivant nos insaisissables baleines blanches.
Ainsi, par défi et par jeu, j’ai décidé de m’imposer une contrainte dans ma démarche artistique : celle d’utiliser exclusivement l’iconographie maritime pour m’exprimer. Les symboles et métaphores du monde marin m’offrent cependant beaucoup de liberté pour proposer un univers personnel dans lequel, tel un alchimiste, je saupoudre dans ma cornue un peu de mystère, d’ambiguïté et de poésie.
Ce travail est en constante évolution, ainsi dernièrement, les personnages se sont affranchis de leur tenue professionnelle : vareuses, casquettes et marinières sont restées au vestiaire. En arrière-plan, une mer aux vagues trop régulières pour être authentique, évoquant un décor de théâtre, surplombe des femmes et des hommes à la pose énigmatique. Jouant l’équilibriste
entre noirceur, espoir, humour et gravité, je vous invite à examiner le reflet d’un miroir déformant, où évoluent des personnages plutôt imposants, aux faciès marqués par l’Histoire et dont les mains puissantes empoignent un attribut, animal ou matériel, au caractère allusif.

Frédéric Ledoeufre